mardi 22 janvier 2013

De Robert d'Artois à Robert d'Artois

Quatre destinées. Quatre morts violentes.

Les batailles livrées par les rois de France se soldèrent souvent par de splendides défaites. La noblesse y fut souvent décimée. Des lignées entières de princes, de comtes et de ducs, disparurent dans la tripaille des chevaux, encombrés de leurs lourdes armures, sous le coutelas des fantassins flamands ou anglais.
Au Moyen-âge, les rois préféraient convoquer dans leurs armées les fils de la noblesse française plutôt que les hommes du peuple, braillards et indisciplinés. Pour échapper à l'enrôlement, il suffisait de payer une taxe appelée "semonce" et cela permettait justement aux souverains d'orienter leur recrutement vers les hommes de guerre et les chevaliers plutôt que de dépeupler les terres de leurs paysans et les villes de leurs artisans. D'ailleurs, les fils de noble famille ne demandaient qu'à se battre pour s'illustrer ou simplement rompre l'ennui de leurs châteaux. C'était l'occasion, également, de s'enrichir sur le dos de l'ennemi, de faire payer des rançons, d'amasser des trésors.
Chaque génération payait un lourd tribut aux conflits du moment.


Suivons ensemble la lignée des comtes d'Artois.


Robert 1er, comte d'Artois.
Nous sommes en 1216 et Blanche de Castille met au monde Robert, troisième fils de Louis VIII. Le premier né du couple n'est autre que le futur Louis IX, autrement dit, Saint Louis. Robert, qui n'a pas eu la chance de naître le premier, devra se contenter d'un apanage, c'est à dire de la concession par le roi d'un fief, pris sur le domaine royal. En l'occurrence, il s'agit, pour ce prince puîné, du comté d'Artois.
Sous le nom de Robert 1er d'Artois, le comte accompagne son frère, Saint Louis, à la septième croisade. Tout ce beau monde embarque à Aigues-Mortes et vogue vers Chypre, puis vers l'Egypte.
Le 8 février 1250, Robert 1er d'Artois à la tête d'une avant-garde de l'armée de Saint Louis, composée de 280 templiers, attaque Mansourah sans attendre l'arrivée du gros des troupes du roi. Robert et tous les templiers sont massacrés dans Mansourah. Il est le premier Comte d’Artois à mourir au combat.

Robert II, comte d'Artois.
Quelques mois plus tard, Mathilde de Brabant met au monde le fils de Robert, qui devient donc comte d'Artois dès sa naissance. Si vous avez bien suivi ce qui précède, vous savez que Robert II est le neveu de Saint Louis. Il est également son filleul. En 1270, on retrouve Robert II participant bravement à la croisade de Tunis. Il n'y rencontra pas son destin.
Il faut attendre la bataille de Courtrai, le 11 juillet 1302 pour que le comte d'Artois perpétue la tradition familiale en se faisant tuer. Certains chroniqueurs "étrangers" racontent qu'un boucher de Bruges lui trancha la langue avant de l'occire.

La bataille de Courtrai opposa l'armée de Philippe VI de Valois aux milices de Bruges et d'autres villes flamandes. On lui donne aussi le nom de bataille des éperons d'or car les chevaliers français avaient coutûme d'orner leurs bottes d'éperons dorés. Les fantassins flamands n'ayant aucun sens de la chevalerie, ce fut un massacre parmi les nobles français et leurs éperons ornèrent bientôt les murs de l'église Notre Dame de Courtrai.
La mort "précoce" de Robert II eut une influence non négligeable sur une période très troublée que les historiens appelèrent "Guerre de cent ans". J'y viendrai tout-à-l'heure car, il me faut d'abord vous présenter le fils de Robert II, Philippe.

Philippe d'Artois.
Philippe naquit en 1269 des œuvres de Robert II et d'Amicie de Courtenay. Premier fils de Robert, il était destiné à recevoir la couronne comtale et cela aurait du arriver en 1302 si, malencontreusement, il n'avait pas trouvé la mort, avant son père, le 11 septembre 1298 des suites de blessures reçues le 20 août 1297 à la bataille de Furnes. Là encore, ce sont les Flamands qui furent la cause de ce trépas. Vous l'avez compris, la couronne du comté d'Artois aurait du sauter une génération et passer directement sur la tête d'un petit fils de Robert II.

Robert III d'Artois, comte de Beaumont-le-Roger.
Or, à la mort de Robert II, l'héritier màle de Philippe n'a que 15 ans. C'est le fameux Robert III, personnage central du roman de Maurice Druon, "Les rois maudits". Vous vous souvenez sans doute de ce cavalier tout de rouge vétu qui passe son temps à susciter les complots et les intrigues dans le but de reprendre à Mahaut d'Artois l'apanage qui fut accordé à sa tante pour les raisons que je viens d'évoquer.
La vie de ce fils, déshérité par le mauvais sort, méritait bien d'être contée.
Si l'on en croit maurice Druon, c'est lui qui dénonça à Isabelle de France, fille de Philippe le Bel et épouse d'Edouard II d'Angleterre, l'inconduite de ses belles sœurs, Blanche, Marguerite et Jeanne. Les deux premières recevaient, à la tour de Nesles, Philippe et Gauthier d'Aunay, qui regrettèrent vivement, quand on les écorcha vifs, leurs relations adultérines.
Souvenez-vous aussi que les deux princesses confondues étaient les filles de Mahaut d'Artois, ceci expliquant cela.
Le résultat premier de cette tragédie royale fut que, séparés de leurs épouses, les trois fils de Philippe le Bel furent bien en peine d'assurer une descendance màle.
Le second effet est bien connu. les trois princes furent rois sous les noms de Louis X, Philippe V et Charles IV. A la mort du dernier, en 1328, il n'existait pas d'héritier màle direct de la couronne de France.
Les barons  mirent alors sur le trône un neveu de Philippe le Bel, qui inaugura la branche des Valois. Philippe VI régna  au détriment d'un autre prétendant, aussi légitime que lui, le roi d'Angleterre, Edouard III, petit-fils direct de Philippe le Bel.
Le conflit générera la "Guerre de Cent Ans" qui durera, en réalité, cent vingt-cinq ans.
La rancune de Robert d'Artois s'était tournée contre les filles de Mahaut avec les conséquences qu'on sait. Bien plus tard, il fut banni de France et gagna l'Angleterre. Là, soufflant sans répit sur les braises il réussit à convaincre Edouard III d'attaquer la France pour prendre sa couronne. On connait la suite.
Il est "amusant" de penser que le fantassin flamand qui blessa Philippe d'Artois le 11 septembre 1298 et le boucher de Bruges qui coupa la langue de Robert II, le 11 juillet 1302, sont responsables de la Guerre entre les Anglais et les Français qui, de 1328 à 1453, ruina les campagnes françaises. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui l'effet "papillon".
Robert III  sera gravement blessé sous les remparts de Vannes, en octobre 1342 et s'en ira mourir à Londres, loin de son Artois natal. Sa femme, Jeanne de Valois et deux de ses fils disparaissent sans laisser de traces, sans doute morts dans la sinistre forteresse de Château-Gaillard.


Rude destin que celui de ces descendants de Louis VIII, chargés d'honneurs, braves parmi les braves, fougueux jusqu'à l'excès, dilapidant leur lignée dans les sables du désert ou les marais ensanglantés des Pays-Bas, servant ou trahissant leurs cousins royaux. Douloureuse destinée pour leurs épouses et leurs enfants, sacrifiés à leurs ambitions et à leurs intrigues.

La descendance des comtes d'Artois s'est éteinte. Le fils ainé de Robert III n'ayant pas eu le même sort funeste que ses frères, sera fait comte d'Eu par Jean II le Bon. Deux de ses enfants, Robert et Philippe, seront tour à tour comtes d'Eu.

Le dernier descendant connu est Charles, fils de Philippe et qui fut, lui aussi comte d'Eu. Il mourut sans enfants...en 1472.

Quelques batards subsisteront mais non reconnus par certains historiens. Le comté d'Eu passe à la famille de Bourgogne Nevers puis la Maison de Clèves.

Le comté d'Artois, quant à lui, est resté dans la descendance de Mahaut. Il échoit à Jeanne II de Bourgogne, épouse de Philippe V le Long, le deuxième fils de Philippe le Bel. Dans l'affaire de la tout de Nesles, Jeanne n'a pas participé aux ébats de ses belles soeurs. Elle n'a été condamnée que pour son silence à propos des écarts de ces dames. Elle fut donc reine de France de 1316 à 1330.
Ses filles, Jeanne et Marguerite seront, tour à tour, comtesses d'Artois, la première transmettant le comté à son époux, Eudes IV de Bourgogne.
Il serait trop long ici de suivre la couronne comtale. Sachez seulement qu'elle échoira, en 1757, au futur Charles X.


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