mercredi 6 juin 2012

Statue vivante. Nouvelle par Zabulle

Maman est nerveuse. Elle sert fermement la main de la petite fille en l’entrainant vers la place de l’église.
Les rares passants, en ce froid matin d’avril, jettent un regard furtif au couple. Il est manifeste que la grande personne a bien du mal à imposer sa volonté à la gamine boudeuse qui n’aide en rien à leur progression.
Sans ces quelques témoins, Hélène utiliserait des moyens plus coercitifs mais elle se contente de maintenir fermement la main qui se dérobe et entraine l’enfant vers l’édifice massif qu’elle aperçoit maintenant en bout de la rue.

Maman est inquiète. Sans en parler à son époux, elle a décidé une thérapie risquée pour en terminer avec une phobie très particulière de sa fille. Il n’existe sans doute pas de nom pour cette maladie.
Certaine personnes ont peur des reptiles, herpétophobie, peur des araignées, arachnophobie, ou peur d’avoir peur, tout simplement. Il existe des centaines de phobies.
Mélanie a peur des statues ! Cela ne s’invente pas. Il semble que cette phobie ne porte pas de nom particulier.
Lorsque Mélanie aperçoit une statue sur sa stèle, au milieu d’une place, sur une pelouse de jardin public, au centre d’un bassin, elle se fige de terreur, tremble de tous ses membres et refuse tout mouvement.
Il faut alors la porter, faire un grand tour autour du personnage de fonte ou de marbre, sous les yeux étonnés des personnes qui assistent à la crise.

Maman connaît la raison de cette phobie. Quelques années plus tôt, Mélanie accompagnait Hélène dans les rues piétonnes d’Angers lorsqu’un de ces énergumènes qui se juchent sur un petit piédestal, peints de couleur bronze et figés dans une immobilité trompeuse attira l’attention de la petite. Sans méfiance, elle s’approcha d’une sorte de grand guerrier métallique et en fit le tour. Les spectateurs riaient sous cape.
Vous devinez la suite. Lorsque le soldat en acier se pencha sur elle, avec une flexion brusque du torse et toucha son épaule, elle se mit à hurler de frayeur. Personne ne se rendit compte du traumatisme profond que cette enfant venait de subir.

Maman a consulté. Les psychologues ont été unanimes. Il fallait soigner le mal par le mal. On habitue les ablutophobes à la baignade en commençant par des bains de pieds. On lâche peu à peu la main des agoraphobes au milieu des places. On emmène les hylophobes dans les bosquets, dans les bois puis dans les forêts.
Pour Mélanie, il suffirait de décrire des cercles de plus en plus rapprochés autour des Apollons et autres Venus de jardins publics pour obtenir le résultat escompté.
Rien n’y fit. Pas plus Rodin que Carpeaux ne purent retrouver grâce auprès de la petite.

Maman est décidée. Hélène ne veut plus s’en laisser compter. La manière douce ayant échoué, la manière forte s’impose. Elle serait du genre à emmener un nécrophobe à la morgue ou dans les catacombes, un thalassophobe à Berck plage.
Elle emmène Mélanie à l’église du bourg.
La bâtisse millénaire abrite assez de saints, de saintes et de représentations divines en plâtre coloré pour venir à bout de cette maladie. Après une heure ou deux passées à leur contact, Mélanie sera guérie, définitivement !
Et, s’il le faut, Hélène égrènera un chapelet aux pieds de la Vierge Marie.

Maman passe à l’acte. La porte de l’église est massive, les veines torturées de son bois, creusées par des siècles de pluies, vont de ferrures en ferrures, comme autant de sillons hostiles. Son grincement sinistre ouvre pour Mélanie l’accès à un enfer. Elle s’agrippe au chambranle mais rien ne peut s’opposer à la détermination de sa mère. Poussée, trainée, houspillée elle atteint le centre de la nef romane, dans une semi obscurité.
Elle se fige alors dans une sorte de cataplexie douloureuse. Ses muscles ne répondent plus et c’est miracle qu’elle reste debout.
Hélène s’éloigne d’elle à reculons, franchit le porche et referme la porte. C’est diabolique, idiot et sans appel.

Maman a eu tort. Adossée, le cœur battant à tout rompre, au bois rugueux, Hélène tend l’oreille. Un lourd silence répond d’abord à son attente anxieuse puis, strident et insupportable un cri jaillit de la nef, transperce les planches noueuses, vrille les tympans de la mère indigne. C’est un incroyable hurlement. Les sorcières devaient crier ainsi quand les flammes mordaient leurs mollets.
Hélène hésite puis, ce qui lui reste de lucidité maternelle réveille ses entrailles. Elle se jette sur la poignée de porte au moment où les cris s’arrêtent, comme avalés par la muraille.
Ses yeux s’habituent à la pénombre puis elle distingue une incroyable scène. Saint Sébastien est penché, torse nu et transpercé de flèches sur la fillette évanouie. Le curé d’Ars lui caresse les cheveux avec gentillesse tandis que Sainte Thérèse la berce sur ses genoux. Du fond de la nef arrive Jeanne d’Arc, brandissant un étendard de satin.

Maman perd la raison. Elle sort de l’église et tient des discours incohérents aux quelques personnes accourues. Puis elle s’évanouit sur les pavés du parvis.


Sur le côté du porche il y a une affichette.
Festival des statues vivantes.
Ce soir, répétition générale des artistes.
Ne pas déranger SVP.



 Pour me dédouaner de l'emprunt de cette photo, je vous invite à visiter le site très intéressant de Flepi

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