mardi 5 juin 2012

La crypte. Nouvelle par Zabulle

L'homme s'assoie souvent au dernier rang gauche de la nef, tout de suite après le narthex. Croyez bien que je n'utilise pas ce vocabulaire pour faire savant mais, c'est comme cela qu'on appelle les premières travées, inoccupées, d'une église romane. On y trouve le bénitier, vide de toute eau bénite car, personne dans nos vieilles églises ne remplit ces récipients. D'ailleurs, à quoi cela servirait t'il? Plus aucune grenouille ne se penche sur ces anciens miroirs pour y baigner un doigt arthritique.
Certains matins, par le grand vitrail de droite, les aurores ensoleillées projettent dans cette nef une lumière mystique. On se prendrait à y croire, comme Moïse devant son buisson ardent, ou Baudelaire devant un buisson poilu.
Sous ses pieds, l'homme le sait, il y a des dizaines de sarcophages. L'église a été édifiée au XIe siècle sur un immense cœmeterium. C'est assez banal. Quelle ville, quel village, n'a pas son cimetière mérovingien? Qu'on veuille faire passer une canalisation ou, simplement, planter un rosier dans le jardin du curé, on trouve les os gris d'un mérovingien, tapi dans son auge de pierre depuis douze ou treize siècles, calme.
Quand Robert le Fort, en 866, fut occis en cet endroit par des bretons et des normands venus piller la Francie occidentale, ces sarcophages étaient déjà là, sous l'église primitive. Les combattants n'en avaient sans doute pas conscience. Le corps du comte d'Anjou ne fut jamais retrouvé. On dit que son fantôme fait encore les cent pas, les nuits sans lune, dans le transept. Il descend de son piédestal, embarrassé par cette francisque que David d'Angers lui a mise dans la main droite et par un bouclier aussi anachronique que pointu. Sa broigne se prend dans les aspérités de la stèle qui porte sa statue mais il parvient à ses fins. lugubre, il déambule dans la nef déserte, va saluer le curé d'Ars et Saint Sébastien, baise la main que lui tend Jeanne d'Arc puis, tous quatre entament une partie d'osselets. Jeanne est gênée par d'anciennes brûlures et Sébastien gratte ses flèches mais l'ambiance est conviviale.
Un jour, Jeanne, troublée par le torse nu de Sébastien faillit perdre son titre de pucelle. Mais, Sébastien gêné par ses blessures et le regard de Sainte Thérèse, ne put décocher sa flèche.
Mais, revenons au visiteur assis au dernier rang. Il s'est vaguement assoupi sur son inconfortable banc et s'ébroue au moment où le mouton porté en travers des épaules du berger lui demande de lui dessiner un petit prince. Il comprend alors qu'il a abusé de ce bon vin d'Anjou qui anime parfois les statues, se lève et marche vers le chœur de l'édifice, un autel tombeau de marbre noir, supportant un grand thabor doré.
La nuit est assez avancée pour qu'il puisse rejoindre sans crainte son lieu de repos habituel. Il appuie son index sur un petit triangle maçonnique incrusté à droite de l'autel.
Le grand tombeau noir pivote en grinçant et une odeur de salpêtre et de moisi envahit le chœur. Un escalier de pierre, luisant d'humidité apparaît. Joseph s'y engage sans hésitation, descend quelques marches et appuie sur un sexe d'angelot qui n'est là que pour faire mentir la légende et refermer le passage.
Maintenant, il est à quelques mêtres sous l'abside abritant la sacristie. Il tâtonne un peu pour trouver une boite d'allumettes, laissée en permanence dans une anfractuosité, allume une bougie.
Dans un coin de cette cave secrète, il y a une grande pierre plate sur laquelle il a jeté une sorte de galetas plein de vermine. La première fois où, par hasard, il a découvert ce que nous appellerons maintenant une crypte, il y avait sur la pierre quelques os recouverts d'une sorte de broigne, une épée rouillée, un crâne auquel adhéraient encore de longs cheveux blancs. Il en a fait un tas dans un coin, pour dégager la place qui lui sert désormais de couche.
Voila, il est chez lui pour la journée et ne ressortira que tard ce soir, pour faire un tour dans le village endormi, pour voler quelques choux chez la Marie, un poulet chez le Patrick, et baiser une fillette de vin à la société de boule de fort.
Les rares visiteurs ne pourront pas soupçonner sa présence et même ses sonores ronflements ne parviendront pas à leurs oreilles. Il soupire d'aise, retire ses godillots et son pantalon de velours marron, s'enroule dans une grande chasuble trouvée un jour dans la sacristie et s'endort paisiblement.

Les mauvaises odeurs ne font pas frissonner sa narine.
Il dort dans le tombeau, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a une coulée rouge au bord des lèvres.
Mais ce n'est que du vin d'Anjou.
Et lui, c'est le dormeur Duval.

Mes nouvelles vous plaisent. J'en suis fort aise. Retrouvez les premières en cliquant sur un de ces liens:

Aucun commentaire:

Pages suivantes

Pour continuer la lecture vers d'autres billets plus anciens, cliquez sur le lien ci-dessus, à droite.