mardi 16 novembre 2010

Le cahier tenu par le curé de Brissarthe, S. GARNIER en 1844. Paroisse et église.


Livre destiné à recevoir l'enregistrement
des faits historiques ou des particularités qui concernent
la paroisse et l'église de Brissarthe, recueillis en 1844, 
par nous curé de Brissarthe soussigné.
S.Garnier Prêtre curé.
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Observations préliminaires sur l'esprit de paroisse suivies de
la mort de Robert le Fort, premier comte d'Anjou, tué par
les Normands, devant la porte de l'église de Brissarthe
le 25 juillet de l'année 866, ou selon d'autres 867.
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Observations sur l'esprit de paroisse.

Paroisse est un terme formé du grec (Mapoixia) qui signifie demeure voisine. On nomme ainsi la réunion de plusieurs maisons ou de plusieurs hameaux, sous un seul pasteur qui dessert, in divinis, dans une église particulière que l'on appelle, pour ce sujet, église paroissiale et le pasteur en titre se nomme curé.
Selon les observations du père Thomassin, il ne paraît pas que pendant les quatre premiers siècles de l'église il y ait eu des paroisses ni des curés en titre. On ne voit point alors de vestiges d'aucune église subsistante à laquelle l'évêque présidât.
Ce ne fut qu'à la fin du quatrième siècle que l'on commença d'ériger des paroisses en Italie, particulièrement dans les grandes villes.
Un concile du Vatican, tenu l'an 542, fait aussi expressément mention des paroisses de la campagne et accorde aux prêtres qui les gouvernent le pouvoir de prêcher, qui avait d'abord été réservé aux évêques.
On en établit de même dans les Gaules et dans les pays du Nord.

Binghon remarque que dans les grandes villes, les paroisses ne furent pas d'abord desservies par des curés en titre mais par des prêtres que les évêques choisissaient dans leur clergé et qu'ils changeaient, ou révoquaient, à volonté. C'est aussi le sentiment de Mr Levallois, dans ses notes sur le premier livre de Lozarienne, chap.15.

D'après Mr Godard-Faultrier dans son histoire d'Anjou, 1er volume, page 230 et suivantes, ce fut sous Dagobert 1er, au commencement du 7ème siècle, que se développa le progrès de l'esprit de paroisse en Anjou.
L'esprit de paroisse s'organisa dans les cimetières. Primitivement, la tombe fut le point de ralliement de la famille chrétienne, Ca et là épars dans les campagnes et dans les villes, les chrétiens réunirent leurs morts dans de vastes centres avant de se réunir eux mêmes. ces lieux devinrent sacrés et d'augustes sacrifices s'y célébrèrent. L'autel fut un tombeau et le tombeau le fondement de la paroisse. Au nombre de ces centres primitifs de la famille chrétienne, en Anjou, dit Mr Godard dans ses recherches, fut, à n'en pas douter, Brissarthe, bourg situé sur la rive droite de la Sarthe, à vingt km d'Angers qu'il nomme à la tête des premières paroisses qu'il cite.

Antiquité de la paroisse de Brissarthe.
Et moi, S. garnier, curé actuel de Brissarthe, qui enregistre ces lignes, je puis constater qu'en 1825, époque où l'ancienne cure fut rachetée, faisant creuser dans l'endroit qui servait autrefois d'aire et qui est maintenant le jardin de la cure, et dans la rue voisine, des fosses pour plantation d'arbres, j'ai trouvé dans deux endroits (je suis témoin oculaire qu'il en a été trouvé beaucoup d'autres et à des endroits éloignés de l'église de Brissarthe) quantité de tombeaux ou cercueils en forme d'auges faits de pierre coquillière et d'autres de pierre d'ardoise.
De même, des ouvriers creusant près de l'église une fosse plus profonde que ses fondements, trouvèrent un de ces tombeaux que je vis, moitié sous ces fondements et moitié au dehors, qui ne paraissait pas avoir été dérangé de sa position primitive. En rompant sa partie saillante on y trouva encore des ossements. Ce qui confirme que l'église actuelle aurait été construite sur un cemeterium. D'après ces traditions, la paroisse de Brissarthe devrait être regardée comme une des premières paroisses, formée et évangélisée dans nos contrées.
Dieu veuille que le divin flambeau de la foi qui éclaira et réunit en famille chrétienne les premiers habitants de Brissarthe ne s'éteigne jamais dans cette paroisse mais qu'il continue d'éclairer leurs descendants afin qu'en suivant sa lumière ils entrent dans la grande famille des saints.
C'est au christianisme qu'est due l'organisation des paroisses qui était inconnue au génie romain. On peut dire que cette organisation fut pour les peuples barbares un double bienfait: car les petites réunions d'hommes sur une multitude de points favorisèrent l'agriculture, entretinrent l'esprit de famille hostile à l'esclavage, épurèrent les mœurs par la crainte du scandale.
La paroisse opéra d'autres prodiges, elle rallia dans une sainte communauté le petit nombre d'individus vivant presque à l'état de sauvages, dans les bois et les lieux déserts. Elle mit à la tête de (mot inconnu) de ces faibles populations, un personnage sacré, un prêtre dont la mission, indépendamment du service divin, était d'y tenir une école, d'y enseigner et de répandre ainsi la lumière, les bonnes mœurs et les lettres.


Robert le Fort aux prises avec Hasting, à Brissarthe, d'après Mr Bodin.

Telle était sans doute la prérogative de Brissarthe quand le trop fameux Hasting, le plus heureux et le plus féroce brigand de son siècle, reparut sur les côtes de Bretagne à la tête des Normands, se disposant à entrer dans la Loire avec une flotte formidable.
Ce fut à cette nouvelle, qui répandait partout la consternation, que Robert 1er, comte d'Anjou (C'est Mr Bodin qui va nous décrire l'histoire que nous rapportons) appelle à son service Ranulphe, duc d'Aquitaine.
Tous deux rassemblent ce qu'ils peuvent réunir d'angevins, de gascons et de poitevins, et marchent au devant d'Hasting qui, ayant quitté ses barques, avait déjà pénétré bien avant dans l'Anjou avec une partie de ses troupes. Robert et Ranulphe se placent entre Hasting et sa flotte et lui coupent la retraite.
Hasting aperçoit une église, celle de Brissarthe, il y court et s'y enferme avec tous ceux qui ont pu le suivre. les français arrivent bientôt après lui, entourent l'église et, persuadés que l'ennemi ne peut leur échapper, ils remettent leur attaque au lendemain et s'occupent tranquillement à établir leur camp, pour y passer la nuit.
Robert, désarmé, ainsi que la plupart des chefs et des soldats, ne pensait qu'à se reposer des fatigues et de la chaleur de la journée, lorsque tout à coup de grands cris se font entendre, ce sont les normands qui mettent à profit la négligence et la sécurité des français sortent impétueusement de l'église et commencent le combat. Cette attaque imprévue jette le désordre parmi les angevins et les aquitains  qui n'ont pas même le temps de s'armer de toutes pièces. On se bat dans le plus grand désordre, Robert est tué des premiers à la porte même de l'église dans laquelle les normands trainent aussitôt son corps, en signe de victoire. Ranulphe contient encore les efforts des barbares, son exemple ranime les soldats que la mort de Robert avait ébranlés, ils se rallient autour de lui mais un trait, décoché d'une des croisées de l'église, le renverse, blessé mortellement. L'armée française découragée par la perte de ses principaux chefs se dissout dans un moment, chacun fuit de son côté et Hasting, victorieux, retourne à sa flotte chargé des dépouilles des vaincus.
C'est à Ménard, notre compatriote, qu'on est redevable de la découverte du lieu où Robert fut tué. Aucun critique n'en avait fait mention avant lui et le passage de Gesta Nortonannarum n'avait encore reçu aucune application géographique. Le mot Briesarta qui n'est pas un nom de lieu connu, la question n'était point résolue. Brissarthe est un bourg sur la rivière de la Sarthe à 20 kilomètres d'Angers, nommé Briasarthe dans un titre ancien de l'abbaye du Ronceray d'Angers, imprimé dans le Gallia Christiana, page 793 du volume des abbayes. Les mots Briva, Bria et Briga signifient pont, passage, ainsi Briasarta veut dire lieu où il y a un passage sur la Sarthe.
La mort de Robert rend l'église de Brissarthe un monument historique du plus grand intérêt, non seulement pour l'Anjou mais pour la France entière. Elle a été bâtie à différentes époques mais sa nef est bien celle dans laquelle les normands se tinrent renfermés. Sa construction parait être du huitième ou du commencement du neuvième siècle. Le côté de cette nef à droite en entrant, est percé de trois petits vitraux à plein cintre, d'un pied de large sur quatre de hauteur. Il y en avait anciennement cinq comme on le voit à l'extérieur. Il n'y a point d'ouvertures de l'autre côté si ce n'est des arcs en ogive faits dans le quinzième ou seizième siècle mais ils sont murés. Ainsi, ce doit être de l'une de ces cinq fenêtres que fut décochée la flèche qui atteignit Ranulphe et, c'est sur cette place, devant la porte de cette église, que fut tué Robert. C'est là, c'est dans cette même nef que son corps ensanglanté fut trainé et que le féroce Hasting put contempler avec joie son ennemi mort, celui dont les descendants devaient un jour posséder presque toute l'Europe, celui qui fut le père de plus nombreuse progéniture de princes, de rois, connue dans les annales du monde. Un fait aussi important pour notre histoire ne mériterait-t'il pas d'être transmis à la postérité par un monument?
(Note de Zabulle: Je laisse à notre brave curé la responsabilité de ces affirmations. Leur lyrisme ne doit pas nous cacher que, probablement, tous les éléments en dur de cette église datent d'une période postérieure au 11 ème siècle).

Un cippe sur lequel serait gravé une inscription conçue à peu près en ces termes pourrait suffire
à Robert
surnommé le Fort et l'Angevin
tige de la 3ème dynastie
tué sur cette place
dans un combat contre les Normands
le 25 juillet 867
Sur l'une des faces du socle serait un bas relief, représentant le combat  dans lequel ce héros perdit la vie. 
(Note de Zabulle: Finalement notre pasteur fut entendu puisqu'il existe, à Brissarthe et à Chateauneuf sur Sarthe, des statues de Robert le Fort, créées par David d'Angers.)
De Brissarthe Robert fut apporté à Seronne chef lieu de son comté, qui n'en est éloigné que d'une lieue et on l'inhuma dans l'église qu'on nomme encore Notre Dame de Séronne.
De grandes discussions se sont élevées entre les généalogistes du 17ème siècle pour savoir quelle était l'origine de Robert le Fort que plusieurs nomment aussi Robert l'Angevin. et que ses belles actions firent appeler le machabée de son temps. Presque tous sans doute pour faire leur cour à Louis XIV ont voulu lui trouver une origine illustre et le faire descendre de nos rois de la seconde race mais ils n'ont pu donner de preuves satisfaisantes.
Ses anciennes chroniques disent positivement qu'il était saxon et du Hailloy. Un des historiens des comtes d'Anjou et un des hommes distingués par son mérite à la cour de  Henry II affirme la même chose; dans une discussion de cette nature, l'autorité d'un courtisan doit être d'un grand poids lorsqu'elle est contraire aux intérêts de la vanité de son maître.
Au reste la conduite de Robert l'Angevin peut seule suffire à sa célébrité et à sa gloire, lorsque les plus grands seigneurs, une grande partie de la noblesse, les princes du sang même, se soulevaient contre leur roi, déchiraient la France qu'ils voulaient se partager, trahissaient tous leurs serments, lui, toujours fidèle aux siens, s'expose à tous les dangers, fait rentrer les rebelles dans le devoir, rend au roi le royaume qu'il allait perdre, et paie ainsi de ses services et de sa vie même les biens et les honneurs qu'il avait reçus du monarque.
Après avoir ainsi récapitulé les actions de Robert, n'est ce pas de lui qu'on peut dire, que s'il ne descend des rois, il mérite en descendre.
Quelle que soit l'origine de ce premier comte d'Anjou d'outremaine, il est toujours certain qu'il est le premier des ancêtres connus de nos rois, le bisaïeul de Hugues Capet, chef de la troisième dynastie, et la petite ville de Séronne (Chateauneuf) qui n'est plus qu'un petit bourg peut s'enorgueillir d'avoir été le premier manoir, la première propriété foncière que cette illustre race ait possédé en France. Si lorsque Henry IV vint en Anjou pour achever d'anéantir la ligue, quelqu'un lui eut dit ce que nous savons de Chateauneuf, peut être que ce bon roi se serait fait un devoir d'aller visiter ce village, berceau de sa famille et l'église qui en fut le premier tombeau. Peut être aussi un cénotaphe, élevé par son ordre, dans l'église de Notre Dame de Séronne ferait connaitre la cause de l'illustration de cette petite ville, illustration qu'elle ignore peut être elle même mais qui n'est pas sans intérêt pour l'observateur aimant à comparer les extrêmes, le point de départ au point d'arrivée, les vestiges du petit château de Robert l'Angevin aux superbes palais du Louvre et de Versailles.
(Note de Zabulle: Aucune preuve n'existe à ce jour de la véracité des affirmations de notre volubile curé. Nul ne sait où est enterré Robert le Fort!!)

Voir maintenant l'avis du curé de Brissarthe sur l'architecture initiale de son église (Billet du 17 novembre)

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