dimanche 16 novembre 2008

Le bois de Sénécat et le bois du Gros Hêtre


Le sergent Francis Louis Benjamin GASTINEAU
né le 22 novembre 1885 à Chatelais (Maine-et-Loire)
décédé le 11 avril 1918 dans le petit bois de Sénécat (Somme)
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Je ne sais pas si, en ce début de mois d'avril 1918, le petit bois de Sénécat et le bois du Gros Hêtre sont encore des ilots de verdure, comme tout petit bois qui se respecte. Je ne sais pas si Francis Gastineau, le grand oncle de ma femme, a entendu les oiseaux fêter le printemps.
Le 4 avril, un général a posé un doigt sur la carte d'état-major, pas loin de cet endroit où les troupes anglaises et les troupes françaises joignent leurs fronts. Il a décidé de reprendre le petit bois de Sénécat, coûte que coûte.
Cette bataille s'inscrira dans l'épopée de l'offensive allemande sur la Lys et la contre attaque des forces françaises et anglaises dans la Somme.
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Le 5 avril, à 11 heures, le 335ème Régiment d'Infanterie reçoit l'ordre d'attaque. Le 4ème bataillon se porte à l'attaque de la corne sud du petit bois. La 15ème Cie est en première ligne. La 14èmè Cie est en soutien. La 13ème Cie est en troisième ligne.
On peut lire sur le journal de marche du Régiment:
"A l'heure H (16H30), en dépit de rafales d'artillerie de tous calibres, le bataillon, marchant comme à la parade et animé d'un esprit offensif remarquable, franchissait la base de départ (chemin du Rouvrel à Dammartin), sa droite à 300 mètres au Nord-Ouest du cimetière de Rouvrel.
N'ayant pas de barrage roulant pour appuyer son attaque, le bataillon fait preuve d'autant plus d'intrépidité. Il donne libre carrière à sa bravoure, accélère l'allure prévue et agit en flanc garde offensive malgré les tirs de barrage, des tirs de mitrailleuses de front et d'enfilade, d'un avion ennemi survolant les vagues à 100 mêtres et les mitraillant.
A 150 mêtres du bois de Sénécat, une mitrailleuse en lisière et vers notre gauche ouvre un feu particulièrement meurtrier sur la section de gauche, la section plus à droite est entrainée à l'assaut par le lieutenant De La Marc (15 èCie) deja blessé à une jambe. Bientôt cet officier tombe, mais dans un élan irrésistible, la 15èCie (Cie Prieur) se jette dans le bois et s'empare de la mitrailleuse après un furieux corps à corps."
Je ne sais pas si Francis a participé à cette première bataille. Si c'est le cas, il en réchappe car, si j'en crois un autre document, il lui reste 6 jours à vivre. Je ne sais pas si une fiancée l'attend à Chatelais, s'il pense à elle. Il a 33 ans. Pour un paysan, l'état du petit bois doit être un crève cœur, mais après quatre années de guerre il y est sans doute habitué.
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A l'aube du 11 avril 1918, a t'il conscience qu'il va mourir? Je ne pense pas. Les grands malades voient la mort s'approcher, parfois ils l'attendent avec impatience. Un jeune homme de 33 ans attend seulement la fin du jour, la fin d'un jour de survie supplémentaire.
Sur le journal de marche du Régiment le déroulement de cette journée fatale se lit comme le synopsis d'un film de guerre:
"En exécution de l'ordre d'opérations de le 17è DI du 9 avril N°64-P.C. le 5è bataillon reçoit l'ordre d'attaquer le bois du Grops Hêtre (2 km Est de Rouvrel) de le nettoyer et d'occuper la croupe de l'Est de ce bois afin d'avoir des vues sur la vallée de l'Avre.
Base de départ à 600 mètres environ de la lisière Ouest du bois. Le front d'attaque qui est de 900 mètres se trouve situé à cheval sur une croupe ayant de chaque côté un ravin profond.
A droite un bataillon du 90è RI a comme objectif la ferme Anchin. La liaison entre les bataillons est assurée par des groupes de combat de liaison.
.........
A 4 heures, l'artillerie déclenche son tir de préparation.
A l'heure H (5H15) le 5è bataillon part dans un élan et un calme magnifiques. Il fait à peine clair. Un premier bond de 200 mètres est exécuté tandis qu'une fusée éclairante allemande signale l'attaque. Aussitôt les mitrailleuses ennemies se mettent à tirer.
Obligé de se terrer tout d'abord, le bataillon, sous l'impulsion héroïque de son chef admirable, le capitaine Pougnon, continue sa marche en avant et parcourt encore 300 mètres. Ce deuxième bond le porte à moins de 200 mètres de son objectif. A ce moment, le chef du bataillon, le capitaine Pougnon est grièvement blessé.
En avant du bois existe un petit ravin assez profond, non mentionné dans les renseignements fournis avant l'attaque et non indiqué sur la carte. Pendant le bombardement, l'ennemi est sorti du bois et a occupé le ravin.
Les 1ères vagues vont atteindre ce point de terrain lorsque se déclenche un très violent tir de mitrailleuses qui les prennent de front et de flanc. En quelques secondes elles sont fauchées sur place. Ainsi tombèrent glorieusement, devant le bois du gros hêtre, qu'ils croient atteint, 12 officiers, dont le chef de bataillon, et 130 hommes blessés qui purent par la suite regagner nos lignes à la faveur de la nuit, un nombre proportionnel de tués et de blessés graves qui restèrent sur le champ de bataille, la vigilance de l'ennemi, qui dispose de nombreuses mitrailleuses interdit en effet tout mouvement."

Le bilan de cette journée du 11 avril 1918 est terrible:
6 officiers disparus
8 officiers blessés
12 hommes de
troupe tués
305 hommes de troupe disparus
85 blessés

Sur l'acte de décès de Francis on peut lire : Genre de mort "Disparu".
Francis est mélé à cette terre grasse de la Somme avec les 304 camarades qui couraient autour de lui.
Il la nourrit et la fertilise.
Comme il se serait appliqué à nourrir et à fertiliser la terre de sa ferme.
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Le petit bois de Sénécat après la bataille....(Photo extraite du site "Mémoire des hommes)

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